LE VOYAGE EN CORSE, DU 14 AU 21 SEPTEMBRE 2011
Après les voyages inoubliables à Saint Pétersbourg et Moscou, les Amopaliens yvelynois ont choisi d’aller, en 2011, à la rencontre du soleil et d’accorder une large place à la découverte de sites naturels, sans toutefois négliger les aspects culturels de la région parcourue : la Corse. Un circuit de huit jours a permis, au cours des visites des sites archéologiques, villes, villages et musées, de retracer l’histoire de l’Ile de Beauté. Le sens des visites n’a pas pu respecter la chronologie mais l’ordre a été rétabli à la fin.
La meilleure illustration de la Préhistoire se situe dans le Sartenais, particulièrement sur le site de Filitosa où tous les types de statues-menhirs sont représentés, de la simple pierre fichée dans le sol à la statue modelée. L’Antiquité gréco-romaine est surtout mise en valeur à Aleria où le champ de fouilles ayant dégagé un forum, un prétoire, un temple et des thermes, est complété par la riche collection d’objets du musée Jérôme Carcopino.
Le Moyen Age a été une période souvent troublée par les incursions barbaresques qui ont conduit les Corses sur des sites défensifs. Sant’Antonino, en Balagne, est le type de village fortifié, quasi inviolable en haut d’une croupe à 500 mètres d’altitude ; c’est aujourd’hui un village pittoresque avec ses passages voûtés et ses ruelles étroites et tortueuses, très touristique en saison estivale. Cette époque a été celle des luttes entre les deux républiques rivales, chargées de l’administration de l’île par les papes : Pise et Gênes. La première a laissé plusieurs églises et chapelles romanes, dont l’ancienne cathédrale de la Canonica, près de Bastia, est un exemple intéressant avec ses lignes simples, ses proportions harmonieuses, son abside élégante et ses pierres polychromes soigneusement taillées et disposées.
Gênes, qui s’est imposée à la fin du XIII ème siècle, a davantage laissé des marques de l’art militaire : de nombreuses tours construites le long des côtes, notamment au XV ème siècle, et surtout d’imposantes citadelles, dont la plus ancienne est celle de Bonifacio. Edifiée au XII ème siècle, au dessus des falaises, elle domine la marine installée le long d’une profonde calanque ; les trois quarts des habitants y vivent dans de hauts immeubles séparés par des rues étroites autour de l’église Sainte Marie Majeure dont le clocher comprend quatre niveaux, trois romans et un gothique.
La citadelle de Calvi date du siècle suivant et a été renforcée par de puissants remparts et bastions au XV ème ; plus compacte, elle n’héberge qu’une infime partie des Calvais. Son sommet est occupé par l’église Saint Jean Baptiste, construite selon un plan en croix grecque typique de l’art baroque qui caractérise la décoration intérieure (maître autel en marbre polychrome, baptistère orné de têtes d’anges, bénitier en albâtre, chaire rococo en bois sculpté, triptyque sur bois…). L’église domine l’ancien palais des gouverneurs et les ruines d’une maison que les Calvais affirment être celle où serait né Christophe Colomb.
La citadelle de Bastia a été construite au XIV ème siècle mais ses bâtiments plus récents nous conduisent aux Temps Modernes, qui ont vu l’édification des autres places fortes décidée par l’Office de Saint Georges sur le pourtour maritime, à Ajaccio, Saint Florent et Porto Vecchio, mais c’est celle de Corte, au centre de l’île, qui illustre le mieux cette ère. Commencée en 1420 sous le vice royaume d’Aragon, la citadelle a été agrandie au XVIII ème siècle par les Français, après l’annexion de 1769. Pascal Paoli, dont la statue orne la place centrale, fit de cette ville, qui s’était souvent affranchie de la tutelle génoise, la capitale de la Corse indépendante et installa son gouvernement au Palazzu Nazionale, autrefois palais du gouverneur et aujourd’hui siège de la présidence de l’Université, ouverte en 1981, héritière de celle du « Babbu di a patria » (1765-69). Plus récemment, le musée de la Corse a été implanté dans la citadelle, dominée par son impressionnant nid d’aigle.
Les Temps Modernes ont donné à la Corse une grande part de son patrimoine artistique, dominé par le baroque et le religieux. A Bastia, nous avons pu suivre l’évolution du style et comprendre l’importance du catholicisme dans la vie insulaire. L’église Saint Jean Baptiste, élevée au XVI çme siècle et dont les deux tours dominent le Vieux Port, et l’ancienne cathédrale Sainte Marie, construite sur la citadelle dès la fin du XV ème, sont assez classiques vues de l’extérieur. L’art baroque est surtout perceptible à l’intérieur par une décoration d’ors, de marbres polychromes, de stucs et de peintures en trompe l’œil, mais le baroque corse est généralement pauvre. Le grand nombre d’autels latéraux traduit la volonté de l’Eglise de propager les décisions du Concile de Trente auprès de fidèles pauvres et ignorants, par un clergé lui-même peu instruit. La chapelle Sainte Croix, qui jouxte la cathédrale, fait exception par sa riche décoration, avec un plafond au fond bleu sur lequel anges et arabesques se détachent ; c’est la chapelle de la Confrérie des Pêcheurs, la plus riche de Bastia ; le rôle des confréries était alors très important dans la société.
La période contemporaine a été marquée, à son début, par l’arrivée sur la scène française puis européenne d’un Ajaccien dont nous avons visité la maison natale ; plusieurs participants ont été surpris par la persistance du culte napoléonien dans la ville. Le musée doit énormément au Cardinal Fesch, qui lui a donné son nom ; l’oncle de l’Empereur avait réuni une collection exceptionnelle d’environ 6000 tableaux, notamment des maîtres italiens, parmi lesquels Botticelli, Michel Ange, Titien, Véronèse et Pérugin. Cette collection a été enrichie depuis, faisant du musée, rénové en 2010, l’un des plus remarquables de France.
Ajaccio a vécu un épisode marquant de la Seconde Guerre Mondiale : c’est sur le quai de la République que le sous-marin Casabianca débarqua, le 13 Septembre 1943, les 109 combattants du Premier Bataillon de Choc qui délivrèrent la ville de l’occupation italienne. Depuis le 14 Décembre 1942, le submersible avait procédé à plusieurs débarquements clandestins d’hommes et de matériel sur les côtes, dont celui de Fred Scamaroni le 7 Janvier 1943 ; cet ajaccien, qui avait rallié le Général de Gaulle dès le 21 Juin 1940, était envoyé pour diriger la Résistance corse mais, arrêté et torturé par les fascistes italiens, il se suicida pour ne pas parler le 19 Mars 1943.
La libération de l’île, commencée à Ajaccio, allait s’achever à Bastia ; un panneau installé à côté du mémorial eu du canon de 75 au col de Teghime, qui domine la ville, reconstitue ce dernier épisode. Le soulèvement s’est renforcé mais s’est heurté à un nouvel ennemi ; alors que les Italiens cessaient le combat depuis la déchéance de Mussolini, les Résistants livraient de dures batailles contre les Allemands qui se retiraient de Sardaigne par la Plaine Orientale, en direction de Bastia. Le 4 Octobre, les Goumiers réussissaient à chasser les troupes allemandes qui avaient pris position sur les cols dominant Bastia ; la ville était libérée par 72 militaires de l’armée française, 172 résistants et…637 soldats italiens qui s’étaient retournés contre leur ancien allié. La Corse était le premier département français libéré.
Malgré l’intérêt porté à l’histoire et l’archéologie, le groupe a été encore plus impressionné par la beauté des paysages naturels, pourtant réputés, particulièrement au cours du parcours de Calvi à Porto. Au réveil, la vue depuis les chambres de l’hôtel donnant sur le golfe est un résumé de la géographie corse : au premier plan, la Marine et la longue plage de sable fin bordée par une vaste pinède, à seulement une vingtaine de kilomètres, la barrière montagneuse alignant ses sommets dépassant les 2000 mètres, jusqu’aux 2706 m du Monte Cinto, point culminant de l’île.
Tout au long des 80 kilomètres de route, c’est une succession de paysages impressionnants, qu’ils soient rocheux avec les « taffoni », curieuses alvéoles dues à l’altération chimique de la roche qui ont donné leur nom à un terme mondial en géomorphologie, ou végétaux, avec un maquis de plus en plus dense, composé de cistes, arbouses, myrtes, bruyères, chênes verts…Quel dommage de na pas l’avoir vu en fleurs, au printemps. La vue plongeante sur le Golfe de Girolata et la réserve de Scandola fait regretter de ne pas avoir pu longer la côte par la mer mais, très vite, l’arrivée sur le Golfe de Porto par une route en corniche, étroite et sinueuse, surprend encore les voyageurs. Le comble de l’émerveillement est atteint lorsque le car entre dans le secteur des « Calanche », si bien décrit par Maupassant : « c’étaient des pics, des colonnes, des clochetons, des figures surprenantes… une ménagerie de cauchemar pétrifiée par quelque dieu extravagant». Pour finir la journée, le spectacle du coucher de soleil sur le golfe donnait une dernière touche au festival visuel.
Le lendemain, les visiteurs comprenaient mieux pourquoi le géographe allemand Ratzel avait qualifié la Corse de « montagne dans la mer » (1899). Nous traversions les trois plus grandes et belles forêts, d’Aîtone, de Valdu Niellu et de Vizzavona, présentant le même étagement des châtaigniers aux bouleaux, entre lesquels dominent les imposants pins laricios, parfois mêlés de hêtres. Au col de Vergio, le plus haut de Corse (1464 m), au pied de la chaîne du Cinto, les porcs élevés en liberté n’hésitent pas à demander de la nourriture. Le contraste est grand à l’entrée dans la Scala di Santa Regina, profond défilé entaillé par le Golo, fleuve le plus long de l’île avec 90 kilomètres, dans le granit rouge ; quelques touffes sont éparses parmi des rochers dénudés taillés en aiguilles.
Le spectacle naturel allait encore enchanter et surprendre celles et ceux qui découvraient la Corse, cette « montagne dans la mer », selon la formule du géographe allemand Ratzel. Les contrastes sont saisissants entre la côte cristalline du Sud, où le « Lion de Rocapina » semble monter la garde sur la Méditeranée, et les blanches falaises calcaires de Bonifacio, vues depuis une vedette. La forêt d’Ospedale, les aiguilles de Bavella et leur décor tourmenté, donnaient les derniers exemples de la montagne avant la descente dans la Plaine Orientale, moins attractive mais ne manquant pas d’attraits avec ses plages et ses étangs.
La météorologie a ajouté une touche imprévue, qui a pu être désagréable ou inquiétante à certains mais a mieux fait connaître le climat méditerranéen. Le 18 Août, un orage d’une violence inouïe s’est abattu sur Ajaccio quand nous étions, heureusement, à l’abri dans le Musée Fesch. Le 19, nous arrivions à Bonifacio lorsque le « libecciu »chassait la dépression en soufflant à 120 Kilomètres à l’heure ; les vagues atteignaient une hauteur de 6 à 7 mètres mais les éléments se calmaient dans la nuit et permettaient une belle promenade maritime le lendemain. Ainsi, les Amopaliens yvelinois ont pu avoir une impression plus complète de la géographie de la Corse avant de repartir, également ravis par la convivialité du groupe, sur le continent et préparer le prochain voyage annuel ; certains participants souhaitaient retourner individuellement sur l’île pour approfondir leurs découvertes.
Gérad Benso